Le 16 Septembre 2020
Se réformer, toujours !
En octobre 2017, nous fêterons le 500e anniversaire de la Réforme protestante. Pour être tout à fait exact, par convention, les Églises protestantes fixent sa naissance au 31 octobre 1517, date à laquelle Luther a placardé 95 thèses sur les portes de l’église du château de Wittenberg pour dénoncer les abus de son Église. Faut-il célébrer cet événement comme le font la Fédération Protestante de France avec son année « Protestants 2017 – 500 ans de Réformes – Vivre la fraternité » ou le Conseil national des évangéliques de France avec son « Merci pour la Bible – 1517-2017 : 500 ans de renouveau spirituel » ? Les plus sensibles aux relations œcuméniques préfèrent parler en mode mineur de commémorations plutôt que de célébrations, car, rappellent-ils, l’événement a sonné la division de l’Église en Occident. Les plus férus d’histoire se demandent s’il est judicieux de tresser tant de lauriers à un Luther qui a aussi été vivement antisémite et très violent dans ses propos « Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans 1 ». Quant à ceux qui méconnaissent l’histoire de l’Église et se méfient des relations œcuméniques, ils préfèrent s’intéresser au seul présent plein de promesses inaccomplies et de victoires idéalisées.
N’en déplaise aux uns et aux autres, nous croyons qu’il est juste à l’Institut Biblique de Nogent de célébrer le début du mouvement des Réformes protestantes et de saluer en Luther, même imparfait et controversé, le théologien génial qui a remis en lumière le principe de la justification par la foi seule et le croyant courageux qui s’est pleinement soumis au témoignage de l’Écriture au prix de l’excommunication de l’Église qu’il avait toujours servie. Mais nous ne le faisons pour participer simplement à la fièvre commémorative qui agite notre temps ou par nostalgie d’un passé désormais révolu. Nous le faisons parce que nous trouvons dans l’exemple de ceux qui nous ont précédés une inspiration, un encouragement pour le présent.
L’Église, parce qu’elle est composée d’hommes et de femmes pécheurs, ne reste fidèle au Seigneur que si elle accepte de se réformer sans cesse, de corriger les écarts qui s’installent inexorablement entre ses traditions, ses inclinations, ses actions, sa prédication et l’Écriture Sainte. La réforme tient du renouveau quand l’Épouse s’est endormie et qu’une visitation de l’Esprit réveille son amour pour le Seigneur, ravive son zèle pour la mission et rafraîchit son adoration. Mais la réforme tient de la rupture quand l’Épouse s’est faite infidèle et a cédé aux péchés de l’idolâtrie, de l’hérésie ou de la corruption. La visitation de l’Esprit, tout aussi nécessaire, ne suscite plus seulement la joie du croyant assoupi, mais aussi les larmes du pécheur repenti. Et parce qu’elle est plus de l’ordre de la chirurgie qui nettoie que du soin qui cicatrise, elle provoque douleurs et conflits au sein du Corps de Christ. Ainsi il ne faut pas s’étonner que les dénonciations de Luther aient provoqué la division plutôt que la réformation d’une Église profondément corrompue. Au même titre que le coup de bistouri, la réforme est un mal nécessaire et même vital pour éviter la gangrène du corps tout entier.
Il nous faut même aller plus loin en affirmant que toute visitation de l’Esprit, tout renouveau de l’Église, tout retour à Dieu ne peut que susciter des réactions vives… et pas toutes enthousiastes ! J’apprends à mes dépens, à la tête du Conseil national des évangéliques de France, que même l’unité divise ! À gauche, à droite et même au centre, il ne manque pas d’esprits chagrins pour contester, jalouser, craindre ou minimiser l’œuvre de réconciliation qui a accompagné la naissance du CNEF et le travail d’unité qui préside à sa croissance. Il n’y a pourtant là rien de fondamentalement étonnant. Si, comme l’a clairement annoncé Jésus, le suivre provoque la division dans les familles (Mt 10.34-39), s’attacher plus fortement ou revenir à lui ne peut que susciter de vives tensions et oppositions au sein des Églises.
Ce n’est toutefois pas une raison suffisante pour renoncer à la nécessité de se réformer, toujours. Certes, notre époque, par préférence pour le cocooning maternant, répugne à entrer en conflit (bien qu’elle ne cesse de le nourrir en refusant les saines et utiles confrontations) et stigmatise volontiers celui ou celle qui porte une quelconque responsabilité en la matière. Il faut pourtant admettre, avec Henri Blocher, que l’Église d’aujourd’hui aurait bien besoin d’une nouvelle Réforme 2, d’un retour à l’Écriture trop souvent délaissée ou contournée dans bien des communautés. Qu’il plaise à Dieu d’inspirer à son peuple à une réforme profonde alors qu’il célèbre les 500 ans de la Réforme protestante !
- Titre du deuxième appendice à son « Exhortation à la paix en réponse aux douze Articles des paysans de Souabe » (1525) dans lequel il appelle les seigneurs à massacrer les révoltés.
- « 500 ans après, Henri Blocher en appelle à une nouvelle Réforme de l’Eglise », http://evangeliquesdubas-rhin.fr/communique/500-ans-apres-henri-blocher-en-appelle-a-une-nouvelle-reforme-de-leglise/, consulté le 10 avril 2017.
Etienne Lhermenault
Cahiers de l’Institut Biblique, n° 175, avril 2017