Qu’est-ce que l’homme ?

« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? Et le fils de l’homme, pour que tu prennes garde à lui ? » (Psaume 8.5 ; Colombe)
Un double contraste
Le Psaume 8 médite sur la vocation glorieuse de l’homme selon la Genèse : « Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, Tu as tout mis sous ses pieds » (v. 7). Suit alors une énumération du règne animal : les animaux domestiques, les bêtes des champs, les oiseaux et les poissons. Pour le psalmiste, la position élevée de l’humanité est un sujet d’émerveillement. Il est frappé par un « double contraste, comme l’écrit Samuel Bénétreau : le premier entre la splendeur écrasante du Dieu de l’univers et la petitesse de la créature humaine, et le second entre la faiblesse de cette dernière et la fonction glorieuse qui lui est accordée au sein de la création » .
Quand on réfléchit à la place de l’homme dans la nature, on peut d’abord retenir ceci : l’homme possède une dignité particulière, une place unique au sein de la création. Il est essentiel de le rappeler face à certaines tendances contemporaines, qui cherchent à niveler la différence qualitative entre l’homme et le reste du monde vivant, souvent en s’appuyant sur une lecture partielle et orientée des données scientifiques. Certes, la génétique révèle l’étonnante proximité du code génétique humain avec le reste des êtres vivants, et l’on observe des parallèles entre des comportements humains et animaliers. Mais des différences significatives subsistent : ce sont bien des hommes, et non des animaux, qui font des recherches, tiennent des conférences et écrivent des articles sur les similitudes entre l’humanité et le monde animal !
L’antidote à l’orgueil
« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? »
L’interrogation émerveillée du psalmiste naît du contraste entre la petitesse de l’homme et la grandeur de la vocation qui lui est adressée. Dans la pensée biblique, la dignité unique de l’homme et son rôle spécial dans le plan divin ne sont jamais des motifs d’orgueil, mais des occasions de magnifier la grâce de Dieu. Voilà l’antidote à la tentation, symétrique à celle dénoncée précédemment.
Si la pensée moderne, post-chrétienne, tend à sous-estimer la différence qualitative entre l’homme et les autres êtres vivants, elle se distingue également par un excès de confiance dans les capacités humaines : l’homme devient la mesure de toutes choses. Cette vision peut se traduire par une théorie philosophique où toute connaissance est évaluée à l’aune de la raison humaine, mais aussi, plus subtilement, par un style de vie où nous agissons comme si tout était à notre disposition, sans pour autant l’affirmer explicitement. Chaque fois que nous participons à exploiter les ressources de la terre au-delà de ce qu’elle peut supporter, pour satisfaire notre avidité ou notre plaisir à court terme, nous nous comportons comme si l’homme n’était pas corégent, mandaté sous l’autorité du Créateur, mais un propriétaire pouvant utiliser la nature à sa guise.
L’humanité devant Dieu
L’être humain n’est ni noyé dans le reste de la création, ni mesure de toutes choses. Il n’est pas étonnant que la pensée prétendument autonome oscille entre ces deux extrêmes. En voulant s’émanciper du Créateur, elle ne peut plus saisir correctement les rôles spécifiques des différentes créatures, dans l’harmonie de la création. Tantôt elle surestime l’importance de l’homme, tantôt elle la sous-estime – et souvent, elle fait les deux à la fois.
En revanche, quand on reconnaît que l’humanité et la nature sont, l’une et l’autre, créées par Dieu, on comprend que l’homme est placé devant Dieu : tout en appartenant à la création terrestre, il a reçu une mission spécifique qu’il est appelé à exercer par délégation. Si le Psaume 8 insiste sur le rôle spécifique de l’homme, ce n’est pas pour glorifier celui-ci, mais pour célébrer la bonté de Dieu. Ainsi, la vocation glorieuse de l’humanité à régner n’est plus un prétexte à l’orgueil, mais un appel à l’humilité.
L’humilité de l’incarnation
La condition humble de l’homme trouve son illustration ultime dans l’incarnation. Devenir homme fut, pour le Fils de Dieu, une véritable humiliation. Lui qui était de condition divine, s’est abaissé en prenant la nature humaine. Dans l’hymne christologique de Philippiens 2, l’incarnation est la première étape d’un mouvement d’humiliation qui conduit celui qui est Dieu de toute éternité à la croix.
Que le Créateur devienne créature – certes une créature à son image, mais une créature néanmoins – constitue un abaissement extraordinaire. L’humiliation à laquelle le Fils de Dieu a consenti fut encore accrue par le fait qu’il prit la nature humaine marquée par le péché (Rm. 8.3), bien qu’il n’ait jamais péché lui-même. Il a accepté la faiblesse, la souffrance et la mort, conséquences du péché, afin de racheter l’humanité.
Comprendre notre humanité à la lumière de celle du Christ
Ainsi, comprendre notre humanité à la lumière de celle du Christ nous ôte toute prétention à l’orgueil et nous établit dans une humilité véritable. Une parole du lion Aslan, dans le dialogue final du Prince Caspian, vient à l’esprit :
Vous descendez du seigneur Adam et de la dame Ève, dit Aslan. C’est à la fois un honneur suffisant pour faire relever la tête au plus pauvre des mendiants, et une honte assez grande pour faire ployer les épaules du plus grand empereur de la terre. Soyez contents .
________ Lydia Jaeger
[1] Samuel Bénétreau, L’Épître aux Hébreux, coll. Commentaire Évangélique de la Bible, Vaux-sur-Seine, Édifac, tome 1, 1990, p. 109.
[2] C.S. Lewis, Les Chroniques de Narnia. Vol. 4, Le Prince Caspian, Paris, Gallimard Jeunesse, 2001, p. 230.